L'Amour et l'Esprit.
Ni geste ni parole ne venaient troubler l'onde du monde. L'Humanité se figeait pour laisser place au grand colloque...
En un lieu sombre et défiguré s'étaient ce soir réunis l'Amour et l'Esprit. L'Amour se rendit en ces lieux sans même en avoir arpenté le chemin. Il était présent, mais l'Esprit n'y croyait guère, car il ne le voyait point.
Alors le funeste dialogue débuta :
- Amour, lui dit l'Esprit, je ne te fuis pas, mais comment puis-je croire à ton existence?
- Nul besoin de croire en moi, je ne crains ni l'oubli ni ma fin. Et lorsque je suis absent, Esprit, c'est toi qui alimente mon souvenir et mon fantasme. Ce que je ne donne pas , tu le promets, et c'est de ta bienveillance que naissent de pieuses souffrances.
- Notre complémentarité n'est due qu'a ton oeuvre, Amour. Les hommes ne m'emploient que pour mieux te chercher. Sans toi je ne suis que passage, mais avec toi je deviens quête. Qui es-tu , Amour, pour oser t'immiscer dans l'existence et en faire ta demeure exclusive?
- Je ne suis rien de plus qu'un souvenir non vécu , Esprit. Soufflant ma maladive inexistence dans tes chairs, je réside dans des maisons en ruine : je suis le ciment des creuses fondations. Ne comprends-tu pas que c'est en déséquilibrant la roue que celle-ci entame son chemin? Du déséquilibre naît la suite, et de cette suite ne naît strictement rien, si ce n'est la pesante harmonie du vide.
- Ce lieu est bien trop sombre et je ne te vois point .
- Parles et cesses de me chercher. Peut être me frôleras-tu l'espace d'un instant.
De l'Amour et de l'Esprit ne naquirent que de fraternelles mésententes, et c'est en mirant le ciel que la Terre joignit ses êtres.